Quand l’écriture redonne voix aux détenus

L’écriture sur soi en détention : l’aboutissement d’un long projet

Un événement exceptionnel autour de l’écriture sur soi en milieu carcéral s’est tenu le mercredi 9 avril à La Soute, à Chambéry. Il clôture ainsi trois grands projets menés dans les établissements pénitentiaires d’Aiton et de Chambéry. Cette journée riche en partages, organisée par le SPIP73 et l’Unité Locale de l’Enseignement de la maison d’arrêt de Chambéry avec Marie-Perre VALCKE et par l’association Lectures Plurielles avec Estelle BELLIN, en partenariat avec l’APEJS, a permis de mettre en lumière les textes écrits par les personnes détenues.

Une restitution émouvante

L’après-midi a débuté à 16h30 avec la restitution des textes issus du cycle d’ateliers d’écriture animé par Khaled MILOUDI de septembre 2024 à mars 2025. Les textes ont été déclamés sur scène et les personnes ne pouvant pas être présentes étaient à l’écran. Cette mise en image et en musique a permis de valoriser le travail accompli pendant plusieurs mois et de donner une voix à ceux qui sont trop souvent réduits au silence.

Marwhan © Lectures Plurielles

 

Philippe THOMAS, Marwhan, Kamal, Khaled MILOUDI, Marie-Pierre VALCKE © Lectures Plurielles

Des parcours inspirants

18h, une table ronde réunit trois auteur·ices aux parcours singuliers, tous·tes animateur·ices d’ateliers d’écriture en prison, ainsi qu’un participant aux ateliers. Marie-Pierre VALCKE, de la maison d’arrêt de Chambéry participe également et souligne l’importance des initiatives littéraires qui permettent de changer le regard sur la prison et de valoriser le potentiel créatif des personnes détenues. “Plonger en soi, explorer son monde intérieur, oser écrire, oser dire, laisser les mots surgir, découvrir ceux des autres et se découvrir soi-même, sont quelques-unes des facettes de ce riche atelier” dit-elle dans le recueil “Mes mots, ma boussole” fruit du travail des personnes détenues encadrées par Khaled MILOUDI.

Alexandre CIVICO, passionné par la vie carcérale et auteur de romans sombres, intervient depuis 2020 auprès de personnes détenues pour co-écrire un roman de fiction sur la prison qui est désormais finalisé. Lors de son intervention, il a partagé sa fierté d’avoir mené à bien ce projet collaboratif, soulignant l’enrichissement mutuel que cette expérience a généré.

Sophie D’AUBREBY a relaté son expérience de cinq jours d’ateliers littéraires en prison, durant lesquels elle a utilisé les écritures murales comme point de départ pour amener les participants à s’exprimer. Lors de la table ronde, elle a confié que si elle n’avait pas d’appréhension particulière avant d’entrer dans une prison pour hommes, elle avait néanmoins été impressionnée par “le nombre de verrous”, “ce qu’ils ont à la ceinture” et la “mise en scène” de l’univers carcéral. Malgré cela, les ateliers se sont déroulés dans une atmosphère constructive.

Khaled MILOUDI, figure emblématique de cette journée, incarne parfaitement le pouvoir salvateur de l’écriture. Ancien braqueur ayant passé 22 ans derrière les barreaux, il a découvert l’écriture en prison, ce qui l’a aidé à se “rencontrer” lui-même. Les mots l’ont libéré d’une certaine façon, «ils ont jailli comme un cri». Libéré le 5 janvier 2021, ce poète partage aujourd’hui sa passion lors d’ateliers dans les lycées et les prisons car il se doit de rendre à l’écriture ce qu’elle lui a donné. Son premier livre, “Les Couleurs de l’ombre”, publié en 2022, retrace son parcours marqué par la violence et sa quête de beauté. Il laisse sa vulnérabilité et son hypersensibilité transparaître librement dans ses écrits, notamment dans son autobiographie et son spectacle.

Khaled MILOUDI © Lectures Plurielles

Kamal, ancien détenu et participant aux ateliers, démontre que les écrits permettent de s’exprimer sans honte. Lorsqu’on écrit, les “bons mots” sortent car “on prend le temps de réfléchir pour les choisir”, ce qui les rend libérateurs. Avant de commencer les ateliers littéraires, il était intrigué à l’idée de rencontrer Khaled MILOUDI car il connaissait son histoire et le trouvait très inspirant.

Kamal, Sophie D’AUBREBY, Alexandre CIVICO © Lectures Plurielles

La soirée s’est achevée avec le spectacle littéraire “Dans l’ombre, la lumière”, une mise en scène par Khaled MILOUDI de ses textes écrits en détention, accompagné au piano par Raphaël GOLDMAN. Après ses années de prison, l’ancien braqueur a trouvé son salut dans l’écriture. En 2014, il joue Caligula dans un atelier théâtral à la prison de Poissy sous la direction de Raphaël GOLDMAN, spectacle acclamé par tous, y compris la petite-fille de Camus. Une rencontre entre les deux hommes lors d’une permission marque le début d’une amitié profonde. Un soir, la poésie de Khaled rencontre le piano de Raphaël, donnant naissance à leur spectacle “Dans l’ombre, la lumière”, où la poésie douloureuse de Khaled s’entremêle à la musique (avec Eric PROST pour l’arrangement musical, Séverine DOUARD et Fabien WALTEFAUGLE pour la mise en voix et en scène, et la production par la Compagnie Pièces & Main d’œuvre).

L’importance de l’écriture en détention

Cet événement fruit de 4 années de coopération entre Lectures Plurielles et le milieu carcéral a mis en lumière l’importance cruciale de la création littéraire comme outil de reconstruction personnelle, de remise en cause de soi et de réinsertion. L’écriture permet aux personnes détenues de s’extraire momentanément de leur condition, d’explorer leur intériorité. Elle offre un espace de liberté dans un environnement contraint et contribue à maintenir un lien avec le monde extérieur.

Cette journée exceptionnelle a ainsi démontré que l’art et la littérature peuvent offrir des perspectives de renaissance, en donnant sens aux expériences. Les écrits créent des ponts entre l’intérieur et l’extérieur des prisons, en humanisant les personnes détenues et enrichissant la réflexion sur le système carcéral. Ils représentent une reconnaissance de la dignité et de la créativité de chaque personne.