Trois jours à Berlin par les étudiants de l’université de Turin

Les étudiants de l’Università degli Studi di Torino (Dipartimento di Lingue e Letterature Straniere e Culture Moderne) vous partagent leurs avis de lecture sur Trois jours à Berlin, premier roman de Christine de Mazières, lauréate et invitée aux Extras du Festival du premier roman 2020. 

 

Trois jours à Berlin de Christine de Mazières (Paris, Sabine Wespieser, 2019)

Le roman de De Mazières prend vie dans un Berlin qui vit l’un des moments les plus intenses de son existence : la chute du Mur. Dans cette ville qui court vers sa renaissance, il y a plusieurs personnages dont Anne et Micha. La première est une jeune fille française qui aime l’Allemagne tandis que le seconde, forcé de vivre à Berlin-Est, est le fils d’un hiérarque communiste estimé. Il aurait voulu s’échapper vers le Ouest mais il n’a pas pu le faire. Les deux s’étaient rencontrés quatre ans plus tôt, et maintenant, début novembre 1989, ils se rencontrent à nouveau.

A Berlin-Est, la vie quotidienne des gens comme Micha était complexe et dangereuse. On sait bien que des gens comme le jeune étaient considérés comme des déserteurs possibles et dangereux, une menace pour la survie du régime. La vie quotidienne de Micha est rendue dans le roman avec des pages efficaces dans lesquelles il y a les comptes que les services d’espionnage secrets ont écrits sur le compte du jeune homme, qui a été suivi au cours de ses rencontres par des yeux silencieux et omniprésents auxquels il ne peut jamais échapper.

Ce livre mérite d’être lu car c’est un petit bijou authentique : il fait face à l’un des moments les plus importants de notre histoire contemporaine avec un style et une histoire qui rendent le 9 novembre 1989 accessible à un public très vaste. Le style de l’écrivaine est fluide et léger sans jamais être superficiel. De plus, l’utilisation judicieuse des adjectifs permet au lecteur de s’immerger complètement dans l’histoire : des phrases simples mais efficaces ont la capacité d’évoquer des images claires et précises dans l’esprit du lecteur. À cet égard, il convient de mentionner les descriptions agréables des beautés artistiques de Berlin, une astuce que l’écrivain utilise envers une ville qui n’est souvent pas appréciée comme elle le mérite.

Le lecteur plus intéressé trouvera également des références claires aux œuvres et aux auteurs qui, au cours des décennies et des siècles passés, ont pu raconter avec ardeur les histoires de l’Allemagne et de ses habitants. C’est le cas de « l’hommage » que l’écrivain fait dans l’une des premières pages du roman: «à l’ouest, Christiane F, la drogue et la zone, à est, Berthold Brecht et Christa Wolf: un parfum de soufre, une aura de mystère, une fois de tragédie, Berlin fait recette sur le marché de l’imaginaire».

Même la partie historique est sans aucun doute très bien développée, mais sans jamais être lourde à lire. Les références à la macro-histoire se marient très bien avec toutes les histoires privées et personnelles qui sont racontées. Même la faute qui a provoqué la démolition du mur de Berlin est un trait qui ressort clairement de la première page du roman. Le lecteur n’aura d’autre choix que d’apprécier cette série de références historico-culturelles qui, sans aller étouffer l’histoire, contribuent à renforcer ses fondements.

Christine de Mazières est une écrivaine franco-allemande qui trente ans après la chute du Mur écrit des pages grâce auxquelles même ceux qui n’ont pas vécu ces moments fondamentaux de notre histoire européenne peuvent bien comprendre l’étendue des événements de ce mois de novembre 1989. De Mazières apporte à ses lecteurs l’histoire avec un « H» majuscule, mais en utilisant certaines des micro histoires privées qui auraient pu contribuer à cette dernière; et elle le fait avec une légèreté unique qui, grâce à une plume sage et équilibrée, ne s’arrête jamais à la surface des évènements.

Benedetta Maria Gini

 

La chute du mur de Berlin : humanité et amitié

Le livre Trois jours à Berlin de Christine de Mazières est son premier roman, mais elle a réussi à impliquer les lecteurs dans sa narration. La lecture est intéressante par exemple pour tous ceux qui veulent savoir les mécanismes d’un évènement important dans l’histoire comme la chute du mur de Berlin. En fait, l’auteur publique ce roman trente ans après ce fait qui a marqué l’histoire allemande et du monde entier.

Ce qui est impressionnant est l’histoire de la chute du mur à travers le point de vue de plusieurs acteurs, par exemple Anna, Lorenz, Micha, qui se trouvent surprises et perdus devant la nouvelle de l’ouverture de la frontière. À côté de ces personnages se distingue celui de Cassiel, l’ange des larmes du film Les Ailes du désir de Wim Wenders, qui ajoute un peu de magie et de fantaisie au conte. C’est le film que Anna a vu avant de découvrir toute la foule qui se dirigeait vers les portes du mur. L’auteur utilise le personnage de l’ange comme une métaphore pour voir d’en haut tout ce qui passe et aussi le destin du peuple qui vit ce moment historique. De même, elle parle à travers de la caméra de Lorenz pour décrire le moment dont les citoyens de l’Est rencontrent ceux de l’Ouest après vingt-huit ans de séparation : à la page 137 on lit « Je filme l’incrédulité de ceux qui découvrent cette partie inconnue de leur ville. Je filme les embrassades entre anciens ennemis. […] C’est fou ce qu’on voit mieux à travers une caméra. Les gens sont à la fois si semblables et si dissemblables, frères jumeaux élevés séparément ».

Micha, le jeune ami d’Anna au caractère rebelle, qui est angoissé de vivre dans la répression et sous les lois autoritaires de la République Démocratique Allemande, rêve de s’échapper définitivement de cette réalité, après la première tentative quand il avait dix-huit ans. On peut lire son angoisse à la page 98 :« Je me rêve en cosmonaute, m’élançant en bonds prodigieux, délivré de toute pesanteur, en une valse lunaire ». Maintenant, avec la chute du mur, il peut réaliser son rêve. C’est vraiment quelque chose de symbolique la première sensation de Micha en arrivant à l’Ouest, décrite à la page 140 : « En arrivant à l’Ouest, la lumière, des guirlandes de lumières, m’ont saisi. Tout se noie dans une intense luminosité. Et que de couleurs vives ! J’ai l’impression d’être passé d’un film en noir et blanc à une pellicule en couleur ».

Enfin, Anna, la fille française passionnée de l’Allemagne qui retourne à Berlin après quatre ans pour une mission de travail. Elle rencontre pour la deuxième fois Micha, connu par hasard pendant son voyage précédent dans l’Est de Berlin. Anna a la chance d’être au bon endroit au bon moment. Elle vit cette page d’histoire et ce sont ses mots qui décrivent les émotions, le bonheur, les étreintes et les fêtes de joie de la part des citoyens de l’Est et de l’Ouest. À la page 152, on peut lire :« Devant le Brandenburger Tor, peu avant minuit, j’ai vécu le moment le plus fou de ma vie. Tous ces gens grimpant sur le mur, assis, debout, les bras levés, faisant le V de la victoire, les caméras, les larmes, les cris.

[…] C’est si bon de sympathiser avec des inconnus, de se sentir appartenir à la grande famille humaine.»

Ce roman vaut la peine d’être lu parce qu’on peut vivre les émotions des citoyens allemands, l’humanité des personnages et l’amitié, en particulier celle entre Anna et Micha et aussi entre Micha et Tobias. En fait, Christine de Mazières mêle les histoires personnelles de ses personnages avec la politique et nous donne une vue d’ensemble de ce qui est en train de se passer. Et il y a aussi la surprise finale!

Valentina Ribaudo

 

L’union dans la séparation

Dans son premier roman Trois jours à Berlin, Christine de Mazières s’attèle à nous dévoiler les vies de personnages plus plausibles que nature qui ont vécu l’un des chocs socio-culturels les plus emblématiques des années 80 : la chute du mur de Berlin. Entre services secrets, amours de la langue et culture germanique, enjeux politiques, ou liens familiaux et amicaux, l’auteur construit des histoires individuelles qui s’entrecroisent, pour au final retranscrire l’ambiance d’une ville en ébullition qui aura réussi à réunir ses citoyens, qu’ils soient de l’Ouest ou de l’Est.

La diversité des points de vue permet d’aborder le roman d’une manière propre à chacun, ce qui rend possible au lecteur d’avoir une vue d’ensemble, et de, comme dans la vraie vie, s’attacher plus à certains personnages que d’autre, ce qui donne du relief à l’histoire et un effet de vraisemblable. Aussi, un large panel d’individus est couvert : des habitants des deux côtés du mur plus ou moins concernés, des touristes, des opprimés, des politiques, des militaires, des espions…Tout lecteur y trouvera son compte et sera plongé dans l’atmosphère berlinoise, que ce soit de l’Ouest, de l’Est, ou au point de passage.

On perçoit les événements de la grande Histoire à travers des points de vue subjectifs, ce qui permet de nous rendre compte que ce sont l’alliance et l’engouement de plusieurs personnes ordinaires qui forgent l’Histoire avec un grand H. La proximité entre Histoire et histoire est vraiment marquante. On a l’impression que le cadre historique est en fait défini par la moyenne de toutes les petites histoires qui s’articulent autour de lui, qu’elles soient en accord ou non avec le résultat final. Les diverses opinions personnelles sont représentées, et ce sans jugement.

Christine de Mazières nous rappelle qu’il faut associer Histoire et Humain, et retranscrit les sentiments que les personnes qui ont vraiment vécu ce tournant historique ont dû ressentir. Comme l’Est et l’Ouest se retrouvent, le lecteur retrouve les émotions des personnes ayant vécu le tournant historique de la chute du mur.

Outre un constant rapport à la grande Histoire, l’auteur nous laisse aussi le temps de nous intéresser de près à l’évolution des personnages et de leurs rapports. Aussi, nous sommes embarqués à travers plusieurs fils conducteur dans diverses histoires comme celle d’une famille déchirée, d’une tendresse franco-germanique, ou encore d’une amitié, qui construisent un suspens et réservent des surprises.

L’écriture fluide, les chapitres courts, et le niveau de langue courant permettent d’autant plus de se plonger dans le présent de l’histoire et dans la plausibilité de l’existence des personnages : cette notion d’instantanéité rend le roman vivant et accessible à tous. Chaque chapitre permet de s’attarder sur la situation et le ressenti d’un personnage, cependant le roman reste cohérent dans sa longueur.

En lisant ce roman, nous remettons en question le sentiment d’appartenance. En cette période délicate, à quoi les personnes se sont-elles raccrochées ? Une nation divisée ? Une moitié de ville ? Un parti politique tranché ? Ou à un espoir presque imperceptible de réunification ?

Facile à lire, ce roman s’adresse à tous les publics, car il rend une partie de l’Histoire de l’Allemagne accessible en la romançant. Cette présentation atypique d’un fait historique apporte un vent de fraîcheur, et ravira les curieux qui aiment à se renseigner sur les dessous de l’Histoire en nourrissant un côté sentimental.

Marion Sablin