Hommage à Hubert Mingarelli, ancien lauréat du Festival

Hubert Mingarelli (1956-2020)

 

C’est avec Une rivière verte et silencieuse (1999) que nous l’avions découvert au Festival du premier roman de Chambéry. C’était pourtant son sixième roman ! Mais les romans précédents avaient été publiés au Seuil Jeunesse. Et ce roman, l’éditeur Bertrand Visage décide de le proposer dans la sphère « adulte », ce qui lui vaut donc d’être invité au Festival du premier roman de Chambéry au printemps 2000 ! De ce roman-là au dernier, La terre invisible (2019, Buchet/Chastel), il en a publié treize, avec un intervalle d’un à deux ans. On peut penser que pendant l’écriture de ce dernier roman, il se savait condamné, car la notice nécrologique annonçait, selon la formule consacrée, « décédé après une longue maladie. Il n’avait que 64 ans et nous espérions le voir revenir au Festival du premier roman en 2020…

Quelle œuvre singulière ! Quel homme singulier ! Tout comme ses personnages, il était de la race des « taiseux » et répugnait à parler de ses œuvres. Je me souviens qu’une lectrice lui avait fait remarquer : « Vous n’aimez pas parler de vos personnages… On dirait que vous ne les aimez pas ! ». À cette remarque, il s’était un peu animé et avait retorqué, mais calmement, sans passion : « Ce que j’ai à dire de mes personnages, je pense l’avoir dit dans le roman… ». Une réponse tellement juste. Son écriture pudique, au verbe rare, mais profondément empathique, nous met face à des personnages simples, peu loquaces, dont les sentiments s’expriment, plus que par les mots, par des gestes compassionnels : une main tendue, l’offrande d’une gourde d’eau, un feu allumé dans le froid…

Le monde qu’il campe est majoritairement masculin, souvent celui de soldats, confrontés à la violence de la guerre ou de l’occupation militaire, dans des pays non nommés, mais où nous pouvons reconnaître respectivement l’Amérique latine, le Pacifique au large de Mururoa, la Russie, le Japon occupé par les Américains, Israël près de la frontière palestinienne, l’Allemagne après la défaite en 1945… Et bien évidemment l’objet omniprésent au long de ces pages est le fusil.

«  Ecce homo », je pense au magnifique dessin d’Ernest Pignon Ernest, placardé sur les murs des quartiers défavorisés de Naples : il représente Pasolini portant son propre cadavre et figure sur l’affiche annonçant l’exposition récemment organisée au Palais des papes à Avignon… « Ecce homo », l’homme dont nous parle Mingarelli est en effet cet homme confronté à sa condition, ce corps en proie aux souffrances physiques comme la soif, la faim, le froid, l’épuisement, ainsi qu’à ses souffrances morales, comme la solitude, le désarroi, la peur, la honte, le doute… Et qui parfois cède à l’agressivité et commet un acte d’une violence insoutenable…

Il ne se passe pas grand chose dans ces romans et l’intrigue est d’un rigoureux minimalisme. Pourtant on ne s’ennuie pas car le récit nous entraîne dans une atmosphère inquiétante et nous suivons avec passion ce cheminement des pensées et des relations entre les personnages, toujours tendus vers cet objectif désespéré, survivre et recouvrer leur dignité d’homme. Mingarelli excelle à évoquer le pudique élan d’une âme vers une autre, les moments de fraternité autour d’un repas partagé, la solidarité dans l’épreuve, la compassion pour l’ennemi vaincu, les fugitifs moments de bonheur dans une nature accueillante, très souvent au bord d’une rivière, sous le ciel étoilé… Et dans quatre romans au moins, nous voyons les liens délicats qui se tissent entre un vieil homme et un jeune garçon, et la tendresse retrouvée entre un père et son fils. Sans oublier la réconfortante présence d’un animal, souvent un chien… Mais le secret des âmes reste inviolé et nous continuons à nous interroger une fois le livre refermé.

Hubert Mingarelli, nous te remercions pour le bonheur de lecture que tu nous as prodigué. Nous refermons ton dernier roman et tu ne nous as pas révélé le secret qui hante le jeune soldat anglais O’ Leary. A nous lecteurs de l’imaginer ? Ainsi au Festival prochain, tu seras encore parmi nous et ton œuvre continuera à nous interroger. Et à vivre.

 

Marie-Bé Letron et Hélène Grunberger, comité de suivi